L’écrivaine calédonienne Claudine Jacques fait paraître un nouveau recueil de nouvelles, Caledonia Blues, aux éditions Au vent des îles. Des histoires souvent brutales, qui regardent en face les aspects les plus sombres de la réalité du pays. Entretien avec une humaniste passionnée de littérature et convaincue que la lecture peut faire évoluer les consciences.
Plusieurs de vos nouvelles font écho à des faits divers réels...
Je suis souvent révoltée à la lecture des faits divers. Et souvent, ce sont les femmes qui trinquent. J’ai voulu leur donner une place prépondérante. Lorsque j’apprends qu’une femme est morte rouée de coups, une autre lacérée au cutter, une autre violée, j’ai mal. Alors j’écris pour que ce fait divers tienne dans un livre. Que ce ne soit pas seulement la « une » éphémère d’un journal, une histoire anonyme. Les violences faites aux femmes sont un fléau. Un homme violent ne détruit pas seulement sa femme mais aussi ses enfants et annihile ce qu’ils deviendront dans la société de demain. C’est le terreau de la violence. L’écrire c’est agir. Je rejoins les combats de Valentine Holle, de Fara Caillard, et du collectif Femmes en colère. Puis-je leur dire ici toute mon admiration.
Vos personnages sont-ils de même basés sur des personnes réelles ?
Sous forme de clins d’oeil uniquement. Je recompose l’identité et la complexité des personnages en puisant des détails un peu partout. Voilà la vraie magie de la littérature pour un écrivain : la création ! Une expérience de toute puissance.
Menez-vous des repérages, un travail documentaire avant d’écrire ?
Je suis en mode photographique permanent, un lieu, une ambiance, une lumière… j’absorbe tout. De même pour les rencontres, je peux me souvenir d’un regard, d’un vêtement, d’une phrase. Tout m’est proche. Tout m’est utile ou le sera un jour ou l’autre. Je n’ai pas eu besoin de travail documentaire sur cet ouvrage plutôt intimiste mais plutôt de souvenirs et de confidences. J’écris actuellement un roman qui me demande des connaissances plus approfondies en ornithologie par exemple. J’avais, pour Le bouclier rouge, étudié la géographie de la Papouasie et sa culture afin d’y situer l’action que paradoxalement j’ai située dans un pays plus rêvé que réel. Mais l’ambiance était là, je crois !
La plupart des histoires du recueil sont dures, voire tragiques, qu’est-ce qui vous pousse vers ces sujets ?
« Si je dis le terrible, c’est que je sais le merveilleux… » écrit Christian Bobin. La Calédonie est un pays fabuleux avec des êtres de lumière, il ne faut pas l’oublier. Il y a d’autres histoires dans ce recueil, moins tragiques, comme Opportunités ou bien encore Des yeux myosotis. Mais vous avez raison, sur les 17 nouvelles, la tonalité est plutôt tragique. D’où le titre, Caledonia Blues. Comme une sorte de grand chagrin.
Y a-t-il un message politique ou un engagement dans vos textes ? Quels changements apporteriezvous à la société calédonienne si vous le pouviez ?
Mon engagement personnel : celui d’être au plus vrai ! Pour le reste, nous réinventer ! Enrichir les pauvres. Chaque individu devrait avoir un salaire décent et un toit. Il ne devrait pas y avoir de nécessiteux dans un pays comme le nôtre. C’est insupportable. Eduquer la jeunesse. Nous avons une belle jeunesse et bien moins besoin de prisons ou de centres de redressement que d’éducateurs en masse, partout et à tout moment. Soigner les délinquants. Ces enfants à la dérive, alcoolisés, canabisés, orphelins d’autorité parentale, sans repères, et d’une violence inouïe sont dans un paroxysme de désespérance. Il faut les soigner. Un suivi psychologique, un sevrage médical. Il n’y a pas d’autre alternative, et nous avons besoin de sécurité. Le pays est secoué par les référendums. Cela explique les tensions : la peur, la tentation du racisme, le rejet. Au nom de la liberté d’expression, certains disent n’importe quoi. Cela entretient une angoisse qui tue petit à petit l’espoir d’un destin commun. Ne confondons pas le fait et l’individu. Certaines actions sont viles et je comprends les coups de gueule, mais stigmatiser une ethnie ou une autre n’est guère raisonnable ni responsable. Considérer l’autre, le différent, doit nous permettre de voir plus large et plus beau, de mieux comprendre l’humanité. Ce n’est pas une démarche facile mais « Il y a une naissance dans chaque connaissance », dirait Pascal Quignard.
Le recueil est-il avant tout destiné à un lectorat local ou plus vaste ?
Est-ce un challenge de transcrire en littérature les réalités du Caillou, ce microcosme au sein d’une culture de plus en plus mondialisée ? Encore une citation que j’adore, d’Aragon : « La littérature est une affaire sérieuse pour un pays, elle est au bout du compte son visage ». Voyez comme il est important de lire de bons auteurs. J’ai écrit Les Coeurs barbelés après les Evènements pour que ma fille et les enfants de sa génération, sachent ce que nous avions vécu par le biais d’un roman qui ne pouvait être qu’un roman d’amour. J’écris aujourd’hui dans le même état d’esprit. Les nouvelles de Caledonia Blues parlent de nous. Mes livres sont étudiés dans les universités du Pacifique et même aux USA. Des conférences sur mon oeuvre ont été données en France, donc je pense que la Nouvelle-Calédonie, ses turbulences et ses progrès intéressent. Pour plagier Martin Luther King, j’avais un rêve lors de la poignée de main de nos deux leaders puis avec les accords. Je me disais que nous allions réussir à construire un pays fraternel. J’y crois encore mais j’ai le blues plus souvent.
Quelles contraintes et objectifs vous fixez-vous en termes d’écriture et de style ?
Chaque fois que je me prépare à écrire, je répète cette phrase de Leiris, « M’alléger, me dépouiller, réduire mon bagage à l’essentiel… devenir oiseau avare, ivre du seul vol de mes ailes. » J’ai tendance à être lyrique, sans doute mes origines italiennes, donc je travaille pour être plus concise. Il faut que le style soit au service de l’histoire. Je le veux sobre, je l’aimerais élégant. Je traque à la relecture les mots qui font seulement joli, les phrases toutes faites remplies de bons sentiments et je les extermine. Voilà pour les contraintes, quant aux objectifs, ils sont de ne pas laisser indifférent, de laisser une photographie sensible de la vie que nous vivons ici et maintenant.
Des lectures essentielles à conseiller à la jeunesse du Pays ?
Je lui conseillerai d’abandonner les tablettes, de fuir la télévision, d’ouvrir un livre ne serait-ce qu’une heure par jour. Le livre demande un effort, mais il aide à l’intelligence, il apporte l’ouverture sur le monde. Mes livres conseils ? Pour n’en citer que quelques-uns : la poésie d’Apollinaire et de Victor Hugo, les Fables de La Fontaine, les nouvelles courtes de Maupassant, les Nouvelles africaines de Doris Lessing, En attendant les barbares de J. M. Coetzee, My Absolute Darling de Gabriel Tallent, Sukkwan Island de David Vann, L’Enfant du pays barbare de David Malouf, Femmes qui dansent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés, et puis tant d’autres.
Dans ce recueil, vous faites plusieurs fois référence au boucan et à la magie. Y croyez-vous personnellement ?
À question malicieuse, réponse ambiguë : parfois oui, parfois non.
Propos recueillis par Antoine Pecquet
Caledonia Blues, nouvelles de Claudine Jacques, éditions Au vent des îles, 207 p., 1 800 F.
C’est une première exposition émouvante et originale à laquelle convie la galerie Le Chevalet d’art, à Ouémo, dès mardi prochain. « On présente le partage entre une maman artiste et sa fille autiste, qui peint également », explique Eric Valet, le galeriste. Delphine Betton alias Hina, la mère, peint à l’huile depuis une dizaine d’années. « Mon métier est rigoureux et m’a demandé de longues études, dit-elle, alors j’apprécie l’espace de liberté absolue de la peinture. Sans savoir à l’avance ce que je vais peindre, je m’y mets en général sous le coup d’une émotion forte, comme un exutoire.» Sous ses pinceaux naissent des compositions riches en couleurs et en matières, entre le cosmique et l’intime : sphères en apesanteur, spirale de lumière, le long cou d’une femme et ses épaules, le baiser de deux amants. C’est en la regardant peindre que sa fille Maïwenn, onze ans, diagnostiquée autiste mais verbale et scolarisée, s’est tout naturellement mise à l’art. « Moi j’aime dire qu’elle est simplement extraordinaire, mais les interactions sociales peuvent être compliquées pour elle. Quand elle peint, on voit le changement d’humeur, elle s’éclate, elle chante », raconte la maman. Depuis son plus jeune âge, Maïwenn réalise d’étonnantes compositions abstraites, pleines de couleurs et d’énergie, qu’elle signe parfois en y apposant le bout de ses doigts. Les deux complices montrent une vingtaine d’oeuvres à la galerie, dont certaines réalisées à quatre mains. « On n’a jamais exposé auparavant, on est curieuses de voir l’effet de ce qu’on peint », confie Hina.
AP
Emotions et perceptions, peinture de Hina et Maïwenn, du 2 au 13 juin, à la galerie Le Chevalet d’art, Ouémo. Vernissage mardi à 18h. Renseignements au 24 92 42.
Plusieurs de vos nouvelles font écho à des faits divers réels...
Je suis souvent révoltée à la lecture des faits divers. Et souvent, ce sont les femmes qui trinquent. J’ai voulu leur donner une place prépondérante. Lorsque j’apprends qu’une femme est morte rouée de coups, une autre lacérée au cutter, une autre violée, j’ai mal. Alors j’écris pour que ce fait divers tienne dans un livre. Que ce ne soit pas seulement la « une » éphémère d’un journal, une histoire anonyme. Les violences faites aux femmes sont un fléau. Un homme violent ne détruit pas seulement sa femme mais aussi ses enfants et annihile ce qu’ils deviendront dans la société de demain. C’est le terreau de la violence. L’écrire c’est agir. Je rejoins les combats de Valentine Holle, de Fara Caillard, et du collectif Femmes en colère. Puis-je leur dire ici toute mon admiration.
Vos personnages sont-ils de même basés sur des personnes réelles ?
Sous forme de clins d’oeil uniquement. Je recompose l’identité et la complexité des personnages en puisant des détails un peu partout. Voilà la vraie magie de la littérature pour un écrivain : la création ! Une expérience de toute puissance.
Menez-vous des repérages, un travail documentaire avant d’écrire ?
Je suis en mode photographique permanent, un lieu, une ambiance, une lumière… j’absorbe tout. De même pour les rencontres, je peux me souvenir d’un regard, d’un vêtement, d’une phrase. Tout m’est proche. Tout m’est utile ou le sera un jour ou l’autre. Je n’ai pas eu besoin de travail documentaire sur cet ouvrage plutôt intimiste mais plutôt de souvenirs et de confidences. J’écris actuellement un roman qui me demande des connaissances plus approfondies en ornithologie par exemple. J’avais, pour Le bouclier rouge, étudié la géographie de la Papouasie et sa culture afin d’y situer l’action que paradoxalement j’ai située dans un pays plus rêvé que réel. Mais l’ambiance était là, je crois !
La plupart des histoires du recueil sont dures, voire tragiques, qu’est-ce qui vous pousse vers ces sujets ?
« Si je dis le terrible, c’est que je sais le merveilleux… » écrit Christian Bobin. La Calédonie est un pays fabuleux avec des êtres de lumière, il ne faut pas l’oublier. Il y a d’autres histoires dans ce recueil, moins tragiques, comme Opportunités ou bien encore Des yeux myosotis. Mais vous avez raison, sur les 17 nouvelles, la tonalité est plutôt tragique. D’où le titre, Caledonia Blues. Comme une sorte de grand chagrin.
Y a-t-il un message politique ou un engagement dans vos textes ? Quels changements apporteriezvous à la société calédonienne si vous le pouviez ?
Mon engagement personnel : celui d’être au plus vrai ! Pour le reste, nous réinventer ! Enrichir les pauvres. Chaque individu devrait avoir un salaire décent et un toit. Il ne devrait pas y avoir de nécessiteux dans un pays comme le nôtre. C’est insupportable. Eduquer la jeunesse. Nous avons une belle jeunesse et bien moins besoin de prisons ou de centres de redressement que d’éducateurs en masse, partout et à tout moment. Soigner les délinquants. Ces enfants à la dérive, alcoolisés, canabisés, orphelins d’autorité parentale, sans repères, et d’une violence inouïe sont dans un paroxysme de désespérance. Il faut les soigner. Un suivi psychologique, un sevrage médical. Il n’y a pas d’autre alternative, et nous avons besoin de sécurité. Le pays est secoué par les référendums. Cela explique les tensions : la peur, la tentation du racisme, le rejet. Au nom de la liberté d’expression, certains disent n’importe quoi. Cela entretient une angoisse qui tue petit à petit l’espoir d’un destin commun. Ne confondons pas le fait et l’individu. Certaines actions sont viles et je comprends les coups de gueule, mais stigmatiser une ethnie ou une autre n’est guère raisonnable ni responsable. Considérer l’autre, le différent, doit nous permettre de voir plus large et plus beau, de mieux comprendre l’humanité. Ce n’est pas une démarche facile mais « Il y a une naissance dans chaque connaissance », dirait Pascal Quignard.
Le recueil est-il avant tout destiné à un lectorat local ou plus vaste ?
Est-ce un challenge de transcrire en littérature les réalités du Caillou, ce microcosme au sein d’une culture de plus en plus mondialisée ? Encore une citation que j’adore, d’Aragon : « La littérature est une affaire sérieuse pour un pays, elle est au bout du compte son visage ». Voyez comme il est important de lire de bons auteurs. J’ai écrit Les Coeurs barbelés après les Evènements pour que ma fille et les enfants de sa génération, sachent ce que nous avions vécu par le biais d’un roman qui ne pouvait être qu’un roman d’amour. J’écris aujourd’hui dans le même état d’esprit. Les nouvelles de Caledonia Blues parlent de nous. Mes livres sont étudiés dans les universités du Pacifique et même aux USA. Des conférences sur mon oeuvre ont été données en France, donc je pense que la Nouvelle-Calédonie, ses turbulences et ses progrès intéressent. Pour plagier Martin Luther King, j’avais un rêve lors de la poignée de main de nos deux leaders puis avec les accords. Je me disais que nous allions réussir à construire un pays fraternel. J’y crois encore mais j’ai le blues plus souvent.
Quelles contraintes et objectifs vous fixez-vous en termes d’écriture et de style ?
Chaque fois que je me prépare à écrire, je répète cette phrase de Leiris, « M’alléger, me dépouiller, réduire mon bagage à l’essentiel… devenir oiseau avare, ivre du seul vol de mes ailes. » J’ai tendance à être lyrique, sans doute mes origines italiennes, donc je travaille pour être plus concise. Il faut que le style soit au service de l’histoire. Je le veux sobre, je l’aimerais élégant. Je traque à la relecture les mots qui font seulement joli, les phrases toutes faites remplies de bons sentiments et je les extermine. Voilà pour les contraintes, quant aux objectifs, ils sont de ne pas laisser indifférent, de laisser une photographie sensible de la vie que nous vivons ici et maintenant.
Des lectures essentielles à conseiller à la jeunesse du Pays ?
Je lui conseillerai d’abandonner les tablettes, de fuir la télévision, d’ouvrir un livre ne serait-ce qu’une heure par jour. Le livre demande un effort, mais il aide à l’intelligence, il apporte l’ouverture sur le monde. Mes livres conseils ? Pour n’en citer que quelques-uns : la poésie d’Apollinaire et de Victor Hugo, les Fables de La Fontaine, les nouvelles courtes de Maupassant, les Nouvelles africaines de Doris Lessing, En attendant les barbares de J. M. Coetzee, My Absolute Darling de Gabriel Tallent, Sukkwan Island de David Vann, L’Enfant du pays barbare de David Malouf, Femmes qui dansent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés, et puis tant d’autres.
Dans ce recueil, vous faites plusieurs fois référence au boucan et à la magie. Y croyez-vous personnellement ?
À question malicieuse, réponse ambiguë : parfois oui, parfois non.
Propos recueillis par Antoine Pecquet
Caledonia Blues, nouvelles de Claudine Jacques, éditions Au vent des îles, 207 p., 1 800 F.
C’est une première exposition émouvante et originale à laquelle convie la galerie Le Chevalet d’art, à Ouémo, dès mardi prochain. « On présente le partage entre une maman artiste et sa fille autiste, qui peint également », explique Eric Valet, le galeriste. Delphine Betton alias Hina, la mère, peint à l’huile depuis une dizaine d’années. « Mon métier est rigoureux et m’a demandé de longues études, dit-elle, alors j’apprécie l’espace de liberté absolue de la peinture. Sans savoir à l’avance ce que je vais peindre, je m’y mets en général sous le coup d’une émotion forte, comme un exutoire.» Sous ses pinceaux naissent des compositions riches en couleurs et en matières, entre le cosmique et l’intime : sphères en apesanteur, spirale de lumière, le long cou d’une femme et ses épaules, le baiser de deux amants. C’est en la regardant peindre que sa fille Maïwenn, onze ans, diagnostiquée autiste mais verbale et scolarisée, s’est tout naturellement mise à l’art. « Moi j’aime dire qu’elle est simplement extraordinaire, mais les interactions sociales peuvent être compliquées pour elle. Quand elle peint, on voit le changement d’humeur, elle s’éclate, elle chante », raconte la maman. Depuis son plus jeune âge, Maïwenn réalise d’étonnantes compositions abstraites, pleines de couleurs et d’énergie, qu’elle signe parfois en y apposant le bout de ses doigts. Les deux complices montrent une vingtaine d’oeuvres à la galerie, dont certaines réalisées à quatre mains. « On n’a jamais exposé auparavant, on est curieuses de voir l’effet de ce qu’on peint », confie Hina.
AP
Emotions et perceptions, peinture de Hina et Maïwenn, du 2 au 13 juin, à la galerie Le Chevalet d’art, Ouémo. Vernissage mardi à 18h. Renseignements au 24 92 42.
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